Partir, rester, revenir – une trilogie, une Odyssée moderne, dont le personnage principal est un Iranien contemporain avec pour tout bagage son destin tragique, ses méditations et son idée ancestrale du jardin. Un Ulysse de notre temps avec, dans son sillage, une cohorte d’autres protagonistes aux rêves brisés, au temps ruiné, d’exilés ayant pour seule terre d’accueil le pays du “non-où”, ou ce mundus imaginalis, si cher aux mystiques.
Un triptyque, dont l’auteur, le narrateur et le personnage central ne font qu’un. Dans le premier volet, Partir, le narrateur sort de chez lui à l’aube pour se rendre à Londres, mais, en fait, c’est à un départ sur les chemins de l’errance, aussi bien dans l’espace que dans le temps, entre le passé et le présent, souvenirs et réalité, qu’il va convier le lecteur. Dans le deuxième volet, Rester, installé dans un atelier d’artiste, il converse avec un ami peintre qui ne crée sur la toile que des jardins calcinés. La peinture, la philosophie, la poésie, comme l’unique jardin dans lequel l’auteur peut trouver refuge. Enfin, le troisième volet, Revenir, dans lequel le narrateur revient dans la ville de son enfance, Ispahan, à la recherche d’un ami perdu de vue et d’une toute jeune prostituée à peine connue. Comme celui de Télémaque, ce voyage ne peut avoir lieu que dans le rêve ou dans le sommeil, l’habituelle allégorie de la mort…
Au bout du compte, un parcours initiatique dans lequel l’auteur s’est “éveillé dans le rêve du temps”.
Des épouses dévouées qui vendent leur corps aux soldats privés de femmes pour nourrir leur famille ; des enfants terrés dans une cave pendant qu’on assassine leur grand-père sous leurs yeux ; un vieillard qui attend le retour de son fils ; des orphelins mutilés mendiant dans la rue ; un combattant parqué avec de nombreux autres dans un conteneur roulant sous le soleil ; une jeune fille qui a peur de son frère… Les personnages de ce recueil de nouvelles ne vivent plus, ils survivent – ou sont déjà morts, comme cet enfant accompagné de son père et de son oncle qui revient sur les lieux où tous trois ont été tués et jetés au fond d’un puits.
Dans ce recueil de nouvelles composé comme la chronique d’un conflit sans fin, c’est avec une simplicité terrible, écrasante, d’une déchirante lucidité, que Mohammad Hossein Mohammadi évoque les limites de l’horreur atteintes, et dépassées, quand la violence de la guerre régit le monde, s’immisçant jusque dans l’intimité des relations humaines.
“C’était le début de la révolution. En ville régnaient la confusion, les arrestations massives, la loi martiale. Le schah partit, l’imam arriva. On annonça que les étrangers devaient quitter le pays. Les bonnes, philippines, afghanes, indiennes, se hâtèrent de partir. Les domestiques locales s’en allèrent également. On manqua d’essence. Le prix de la viande devint exorbitant…” Ne resta plus bientôt que la question lancinante posée sur tous les tons : “Ça sert à quoi la révolution ?”
Dans ce récit composé de trois chapitres, dont chacun porte le nom des trois bonnes employées par l’auteur (Zeynab, Delbar, Amineh), Goli Taraghi dépeint de l’intérieur le séisme de la révolution islamique en Iran.
Trois bonnes, trois destins – Zeynab, soit-disant mariée à un trafiquant d’héroïne ; Delbar, devenue sur le tard “gardienne de la révolution” ; enfin Amineh, la Bengalie, qui suivra sa maîtresse jusqu’à Paris.
Dans ce livre nostalgique à l’humour doux-amer, Goli Taraghi use à merveille de ce ton qu’on pourrait qualifier de tchékhovien n’était l’ombre portée du régime des mollahs.
Couloir n° 6est le journal de prison d’Ebrahim Nabavi, célèbre journaliste et écrivain iranien, qui fut condamné à huit mois de prison “pour insultes aux autorités, diffamations, publications mensongères et accusations non fondées à l’encontre du régime”. Ayant, grâce à sa bonne étoile et à sa notoriété, eu la possibilité de choisir son lieu de détention, il décida de purger sa peine avec les droit commun dans la section des “délinquants économiques”, la section “des escrocs”, en fait celle des hommes d’affaires de l’ancien régime. Il y côtoya une population haute en couleur dont la vie quotidienne était ponctuée de moments de grande intensité quand des prisonniers étaient conduits à l’échafaud. Bref, si ses conditions de vie en prison ne furent pas à proprement parler insoutenables, Ebrahim Nabavi ne tint que grâce à l’écriture pratiquée journellement.
Aussi bien, ces carnets de prison ne cachent ni ses ambitions littéraires ni ses admirations, jusqu’au titre qui est un hommage à Anton Tchékhov, son écrivain préféré. On ne peut que souscrire aux déclarations de l’auteur : “Ce livre, qui est le journal de mon séjour en prison, ressemble à un roman.”
La maison de Shemiran avec son gigantesque jardin, son bassin et sa sirène, sa fontaine répandant rêves et espoirs, est traversée un jour en son beau milieu par l’autoroute impériale…
Un homme voit sa vie suspendue à l’issue d’une partie de cartes où le deux de trèfle doit s’avérer gagnant… Un autre, ne trouvant pas preneur pour son plus précieux bien, ses enfants, décide de leur offrir un dernier repas, un festin royal… Un futur marié est obligé d’aller chercher son oncle dans un quartier de Kaboul interdit à son ethnie… Une femme décide de se prostituer pour sauver son époux… Un magicien fait disparaître, dans un ultime défi, un tank russe…
Les nouvelles d’Assef Soltanzadeh sont toutes des plongées dans l’indicible, l’inimaginable, où des personnages tentent de fuir leur destin sans jamais pouvoir lui échapper avec, en toile de fond, la guerre omniprésente.
Par tradition et parce que le roman est une idée neuve dans la littérature afghane, Assef Soltanzadeh a choisi cette “petite forme”, celle des récits, des contes, des nouvelles, pour mieux rendre compte d’un univers fragmenté et chaotique.